f Trompe la mort


Trompe la mort

Avec cette neige à foison
Qui coiffe, coiffe ma toison,
On peut me croire à vue de nez
Blanchi sous le harnais.
Eh bien, Mesdames et Messieurs,
C’est rien que de la poudre aux yeux,
C’est rien que de la comédie,
Que de la parodie.
C’est pour tenter de couper court
A l’avance du temps qui court,
De persuader ce vieux goujat
Que tout le mal est fait déjà.
Mais dessous la perruque j’ai
Mes vrais cheveux couleur de jais.
C’est pas demain la veille, bon Dieu !
De mes adieux.

Et si j’ai l’air moins guilleret,
Moins solide sur mes jarrets,
Si je chemine avec lenteur
D’un train de sénateur,
N’allez pas dire «Il est perclus»
N’allez pas dire «Il n’en peut plus».
C’est rien que de la comédie,
Que de la parodie.

Histoire d’endormir le temps,
Calculateur impénitent,
De tout brouiller, tout embrouiller
Dans le fatidique sablier.
En fait, à l’envers du décor,
Comme à vingt ans, je trotte encore.
C’est pas demain la veille, bon Dieu !
De mes adieux.

Et si mon coeur bat moins souvent
Et moins vite qu’auparavant,
Si je chasse avec moins de zèle
Les gentes demoiselles,
Pensez pas que je sois blasé
De leurs caresses, leurs baisers,
C’est rien que de la comédie,
Que de la parodie.
Pour convaincre le temps berné
Qu’mes fêtes galantes sont terminées,
Que je me retire en coulisse,
Que je n’entrerai plus en lice.
Mais je reste un sacré gaillard
Toujours actif, toujours paillard.
C’est pas demain la veille, bon Dieu !
De mes adieux.

Et si jamais au cimetière,
Un de ces quatre, on porte en terre,
Me ressemblant à s’y tromper,
Un genre de macchabée,
N’allez pas noyer le souffleur
En lâchant la bonde à vos pleurs,
Ce sera rien que comédie
Rien que fausse sortie.
Et puis, coup de théâtre, quand
Le temps aura levé le camp,
Estimant que la farce est jouée,
Moi tout heureux, tout enjoué,
J’ m’exhumerai du caveau
Pour saluer sous les bravos.
C’est pas demain la veille, bon Dieu !
De mes adieux.